• Star Wars... et moi

    Star Wars... et moi   J'ai fait comme des millions d'êtres humains : je suis allé voir Star Wars, épisode 8. Pas le plus formidable à mon goût. Et s'il s'agit de lui trouver un goût, ce serait surtout celui de la madeleine. N'empêche : presque 40 ans après la sortie du 1er épisode, ce huitième développement d'un immuable schéma narratif - un petit nombre de rebelles à un ordre totalitaire échappent in extremis à leur anéantissement - continue de susciter l'engouement des masses. Quelle série peut en dire autant ? Pas le récent Terminator 6 en tout cas.

       Au-delà de l'efficacité du battage médiatique - quoique pour ma part je prétende avoir communié de ma propre volonté et non en tant que simple cible marketing, comme tout le monde, en fait - je crois que ce que des millions de mes semblables et moi-même sommes venus chercher dans cet énième volet de la saga reste la même chose que les sept premiers nous avait donnée : le besoin de s'identifier à ces rebelles, luttant avec acharnement pour ne pas se soumettre à une puissance démesurément supérieure. Notre lot à tous. Comme des millions de mes semblables, je viens au cinéma me faire secouer mon angoisse de domination, ce que la série met savamment en oeuvre.Star Wars... et moi

       Il y a trois niveaux à cette angoisse de domination. D'abord, la menace de domination totale, c'est à dire le danger de mort pure et simple, qui engendre l'aspect guerrier de la lutte, et donne lieu aux péripéties militaires dont nous sommes friands dans le film : batailles spatiales, prises de vaisseaux, sabotages... Il y a ensuite la menace de domination comme privation de liberté, qui est le sort dans la série des multiples communautés peuplant les divers systèmes sous contrôle de l'Empire, ou de ses avatars selon les épisodes, c'est également le sort des rebelles, contraints de se "terrer" dans des maquis aux confins de la galaxie, régulièrement débusqués et acculés à la fuite, c'est encore le sort des Troopers, les soldats de l'Empire eux-mêmes, comme le montre le dernier épisode. Et enfin - et surtout ? - il y a la menace de domination par modification de la volonté : c'est l'attraction vers le côté obscur de la force.

    Star Wars... et moi   Lorsque la série a débuté à la fin des années 70, les motifs mis en oeuvre afin de donner corps à cette menace de domination puisaient dans l'histoire, depuis l'Antiquité, avec la reprise du schéma de la supplantation de la République romaine par l'Empire, jusqu'à l'histoire la plus récente : le régime nazi n'avait été abattu qu'un peu plus de trente ans avant la sortie du premier épisode. Au titre des menaces contemporaines, l'impérialisme soviétique opérait surtout chez les spectateurs occidentaux les plus idéologiquement attachés à la société capitaliste. Star Wars... et moi

       Si aujourd'hui les soviets ne constituent plus une menace pour personne, notre époque en revanche ne manque pas de périls pesant sur nos libertés, nos valeurs... chaque jour nous en apporte de nouveaux exemples.

       L'islamisme radical, d'abord - expression désormais trop euphémistique en regard de ce qu'elle est censée désigner, il faudrait plutôt parler d'islamisme exterminateur. Les trois niveaux de la domination présents dans Star Wars s'y retrouvent : attentats à la vie, attentats à la liberté, celle des populations tombant sous la coupe de Daech, mais également celle de tout musulman, ou de toute personne jugée d'origine musulmane, se sentant contrainte de de devoir prononcer une condamnation personnelle de cet islamisme, pour ne pas risquer d'y être assimilé, et enfin puissance d'influer sur la volonté Star Wars... et moides individus, pouvoir de séduction morbide, attraction des âmes fragiles vers le côté obscur, qu'on observe dans le cas de ces centaines de convertis, qui résolvent leur existence existentielle d'adolescents sarthois ou languedociens, en offrant à Daech le sacrifice de leur piètre personne - le rêve d'Orient n'est plus ce qu'il était il y a encore vingt ans, n'est-ce pas Mathias Énard ? Il en est pour pousser plus loin cette hantise d'une subversion de nos repères culturels, et de nos identités : c'est ce que fait Michel Houellebecq dans le justement nommé Soumission, dans lequel il imagine l'arrivée au pouvoir démocratique en France d'un pouvoir islamique modéré - quoique ce livre ne soit pas un des plus remarquables que l'on doive à son auteur. Il me reste à lire le 2084 de Boualem Sansal afin de creuser encore la veine.

       Jean-Jacques Bourdin serait sûrement d'accord avec ça : à l'évocation de la menace islamiste répond celle du péril fasciste, l'un et l'autre se font imminents désormais. Impuissants, d'élection en élection, on constate l'amplification de la menace. Au prochain attentat, combien de milliers de nouveaux électeurs viendront à leur tour la grossir, et passeront du côté obscur ? Et si les fascistes accèdent au pouvoir, si je n'ai pas l'envergure d'un Jedi, aurai-je seulement le cran de me conduire en rebelle ? En 40, combien a-t-on compté de Jedis et de rebelles ? Pas tant que ça, non ?

       Tels des lapins pris dans ces deux phares de leur mort prochaine, on en oublierait la domination pourtant effective du capitalisme néo-libéral, et la difficulté d'y être rebelle.

       Le côté obscur prend mille visages, et nous passons notre vie à tenter de le détecter derrière chacun d'entre eux. Tu es adolescent, à la croisée des chemins tu dois faire le choix de t'engager à fond dans la musique comme tu en meures d'envie, ou bien suivre les recommandations paternelles d'un parcours moins risqué, disons une carrière d'architecte. Où est la tentation ? Céder à l'appel de la faisabilité, investir dans la promesse du confort, n'est-ce pas là que réside le côté obscur ? Tu es enseignant et au bout de quelques temps tu te rends à peine compte que tu enfiles les années scolaires comme des perles, sans plus d'enthousiasme, sans plus de remise en cause : ne te fais-tu pas à toi-même l'effet d'un Trooper de l'Empire, froid exécutant d'oeuvres sordides, quand elles sont menées sans plus d'envie ? Tu es employé d'une boîte privée et tu as l'opportunité d'une promotion, une de tes nouvelles responsabilités consisterait à pouvoir décider de la poursuite ou de l'interruption du contrat de travail de tes "collaborateurs" : à quelle distance du côté obscur te trouves-tu là ?

    Star Wars 8, 9, 10... ? Tu m'étonnes que ça marche, une trouvaille pareille.


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  • Commentaires

    1
    Nico.T
    Mercredi 23 Décembre 2015 à 15:15
    Nico.T

    Super Thomas, merci pour cette analyse : les 3 niveaux de l'angoisse de domination, je souscris.

    Les femmes seraient-elles moins sujettes à cette angoisse et du coup ça expliquerait leur "quasi" absence de la série ? Je n'ai pas vu le dernier encore.....

      • Mercredi 23 Décembre 2015 à 16:33

        Pour le coup, le nouveau probable Jedi est une femme ! La question serait de savoir si les femmes marchent autant que les hommes dans la machine Star Wars (c'est peut-être un peu genré comme question, mais on n'a pas de tabous, hein ?).

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